Début février, la Commission européenne a proposé d’inclure le nucléaire et le gaz dans la taxonomie européenne, les identifiant ainsi en tant qu’activités pouvant répondre aux objectifs de l’Accord de Paris sous réserve de délimitation claire. Jordan Hairabedian, expert décarbonation d’EcoAct, a examiné les implications de cette décision et les impacts potentiels sur la réputation de la taxonomie et de la transition zéro émission nette de l’UE.
La taxonomie européenne a été lancée en 2020, soutenant le Pacte vert européen et le cadre de finance durable de l’UE. Il s’agit d’une classification d’environ 90 activités économiques. L’objectif de l’UE est ainsi de définir les critères scientifiques qui rendent une activité durable et alignée sur l’Accord de Paris afin d’y flécher les investissements.
Après plusieurs mois d’intenses débats, la Commission européenne a accepté de définir, le 2 février 2022, les activités liées aux énergies nucléaires et au gaz naturel en tant qu’activités de transition dans la taxonomie européenne. Qu’est-ce que ça veut dire ? Le nucléaire et le gaz sont identifiés comme des activités de soutien à la « transition vers une économie neutre pour le climat compatible avec un profil d’évolution visant à limiter l’augmentation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, y compris en supprimant progressivement les émissions de gaz à effet de serre ».
Au sein de la Commission, qui est habituée à adopter ses textes par consensus, un vote a été organisé. Fait inhabituel : 3 commissaires ont rejeté le texte.
Dans le cadre des nouvelles règles de reporting, les entreprises devront présenter un rapport annuel pour se conformer à la taxonomie sur le gaz et l’énergie nucléaire.
Nucléaire : principaux critères pour l’atténuation du changement climatique
Gaz : principaux critères pour l’atténuation du climat
Dans un souci de transparence, la Commission européenne a modifié les obligations d’informations relatives aux activités liées au gaz naturel et à l’énergie nucléaire. Les grandes entreprises non financières et financières cotées devront communiquer la part de leurs activités liées au gaz naturel et à l’énergie nucléaire. Cela devrait aider les investisseurs à mieux identifier les activités dans lesquelles ils investissent.
D’un point de vue du climat, il est essentiel d’analyser l’intensité carbone de la production électrique pour mieux comprendre :
L’électricité produite par le nucléaire émet 6g éqCO2/kWh, soit autant que l’hydraulique et moins que le solaire et l’éolien. L’inclusion du nucléaire serait donc une bonne nouvelle pour réduire les émissions carbone, à la condition que des stratégies solides de gestion des déchets radioactifs et de démantèlement nucléaire soient incluses.
Cependant, l’intégration du gaz naturel sous les critères présentés par la Commission apparaît comme controversée. Son intensité carbone est égale à 418 gCO2e/kWh, bien au-dessus de la valeur fixée par l’UE de 100 gCO2e/kWh pour qualifier une source de production d’énergie durable. Permettre aux projets de centrales électriques au gaz de se conformer d’ici fin 2030 à la taxonomie avec des émissions directes de GES inférieures à 270 gCO2e/kWh de l’énergie produite induirait une forte dépendance à la capture et au stockage du carbone : une technologie actuellement peu mature et énergivore.
De plus, le risque est que cela puisse conduire à d’importants flux financiers vers le secteur du gaz naturel, au lieu des secteurs bas-carbone et des énergies renouvelables. Cela pourrait s’opposer aux critères fixés par l’article 10 du règlement sur la taxonomie en conduisant à « un verrouillage des actifs à forte intensité de carbone, compte tenu de la durée de vie économique de ces actifs ».
Par ailleurs, dans le projet initial publié par la Commission européenne le 31 décembre 2021, des engagements intermédiaires étaient prévus pour inclure une part croissante de gaz renouvelable ou décarboné en 2026 et 2030. Cela a été abandonné dans la version de début février.
Ainsi, la décision sur le gaz naturel pourrait retarder la transition vers une décarbonation profonde.
L’arbitrage fait par la Commission génère de nombreuses critiques. Les opposants à l’inclusion considèrent que, au-delà des enjeux carbone, cet étiquetage du gaz et du nucléaire comme « soutien à la transition » risque de nuire à la réputation de la taxonomie.
Tout d’abord, la Plateforme sur la finance durable, l’organe consultatif de la Commission sur la taxonomie, a rejeté la première proposition sur le nucléaire et le gaz selon les arguments suivants : « le projet de l’acte délégué complémentaire n’est pas conforme à la réglementation de la taxonomie et la plupart des membres y voient un risque sérieux de saper le cadre durable de la taxonomie. De plus, les membres de la plateforme ont des doutes sur la façon dont le projet fonctionnerait dans la pratique et beaucoup sont profondément préoccupés par les impacts environnementaux qui pourraient en résulter. »
Pour de nombreux acteurs, inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie remettrait en cause la robustesse de cet outil de classification européen. Si le gaz et le nucléaire sont intégrés en tant qu’activités de transition mais non durables soutenant des sociétés bas-carbone, le message pourrait ne pas être clair sur la démarche à adopter pour viser un alignement des émissions de GES sur les objectifs fixés par l’Accord de Paris.
Le texte va prochainement être examiné par le Parlement et le Conseil. Ils ont quatre mois (avec 2 mois de prolongation possible) pour l’adopter ou s’y opposer.
À ce stade, rien n’est encore sûr, mais il est possible que le texte soit adopté et entre en vigueur dès 2023.
[2020, Parlement européen et Conseil] Règlement Taxonomie
[2022, EU Commission] Delegated act regarding nuclear & gas activities
[2022, EU Commission] Technical screening criteria for mitigation – nuclear & gas
[2022, EU Commission] Technical screening criteria for adaptation – nuclear & gas
[2022, EU Commission] Specific public disclosures for those economic activities
La taxonomie de l’Union européenne (UE) s’inscrit dans le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), soit l’ensemble de mesures de l’UE pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050, et constitue un élément clé de la stratégie européenne en matière de finance durable.
Il s’agit d’une classification des activités économiques permettant d’identifier celles qui sont durables selon des critères climatiques, environnementaux et sociaux.
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