Marché européen du carbone : rapport sur l’état de l’EU ETS en 2022

La septième édition du rapport sur l’état du système d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (SEQE-UE, EU-ETS), « State of the EU ETS », vient de paraître. Produit en collaboration avec l’ERCST (European Round on Climate and Sustainable Transition), BloombergNEF, le centre de recherche Wegener Center de l’Université de Graz en Autriche, et EcoAct, ce rapport ...

Anouk Faure

4 mai 2022 9 minutes de lecture

La septième édition du rapport sur l’état du système d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (SEQE-UE, EU-ETS), « State of the EU ETS », vient de paraître. Produit en collaboration avec l’ERCST (European Round on Climate and Sustainable Transition), BloombergNEF, le centre de recherche Wegener Center de l’Université de Graz en Autriche, et EcoAct, ce rapport annuel a pour objectif de fournir une contribution indépendante au débat politique sur le rôle et l’efficacité du marché européen du carbone.

Ce rapport analyse les prémices de la phase 4 du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (EU ETS), dans un contexte de réforme ancrée dans l’objectif d’atteindre zéro émission nette d’ici à 2050.

Découvrez le rapport complet (uniquement en version anglaise), en cliquant ici.

L’année 2021 a été particulière à plusieurs égards pour l’EU ETS. Tout d’abord, elle marque le début des négociations du paquet législatif « Fit for 55 » entre le Parlement et le Conseil européen qui pourraient aboutir à des changements importants sur le périmètre et les paramètres de l’EU ETS dès 2023. Par ailleurs, l’Europe a été touchée par une augmentation des prix de l’énergie sans précédent. Dans un contexte de volatilité accrue des prix du carbone, la participation d’investisseurs financiers dans le marché du carbone fait débat et les impacts socio-économiques de la décarbonation sont au cœur des discussions.

A l’heure de cette négociation pour aligner l’EU ETS à cette nouvelle ambition climatique, ce rapport vise à répondre à deux questions : Quelles leçons tirer de l’expérience de la troisième phase de l’EU ETS (2013-2020) ? Quelle analyse tirer en termes d’efficacité environnementale et socio-économique de l’EU ETS au cours de l’année passée ? Notre experte des marchés du carbone, Anouk Faure, fait le point sur les messages clés du rapport :

Retour sur la Phase 3 de l’EU ETS

  • Après une deuxième phase marquée par un niveau de prix du carbone bas du fait de déséquilibres structurels, les réformes conduites en Phase 3 (2013-2020) ont permis de rétablir un signal prix en cohérence avec les objectifs de décarbonation de l’Union européenne.
  • L’EU ETS a ainsi atteint son objectif de réduction d’émissions pour 2020 dès 2014. Cette diminution a été largement dominée par la décarbonation de la production d’électricité (-38 % contre -9 % pour les autres installations industrielles). Au-delà de la contribution de l’EU ETS, c’est bien l’ensemble des politiques de soutien à la transition du secteur électrique ainsi que des prix du gaz historiquement faibles qui ont permis ce résultat.
  • La crise sanitaire a eu un impact considérable sur les émissions de CO2. Entre 2019 et 2020, ces dernières ont chuté de 11 %, contre 5 % en moyenne sur les autres années. Ce taux de diminution demeure bien supérieur à celui exigé par la réglementation.
  • Au-delà des fluctuations conjoncturelles, plusieurs signaux indiquent le début d’une décarbonation profonde de l’industrie européenne. L’intensité carbone des activités de combustion ont diminué d’environ 30 % durant la Phase 3 et pré-crise Covid. Dans les autres secteurs, les progrès sont modestes sur la période.
  • La Phase 3 a également été marquée par un infléchissement du surplus de quotas accumulé depuis 2008. Pour la première fois, l’ensemble des installations industrielles ont dû acheter l’équivalent de 2 à 3 % de leurs émissions aux enchères. Ceci est sans compter les activités de combustion, qui ont dû faire face à un déficit de permis équivalent à 85 % des émissions.
  • Toutefois, l’analyse des données de marché montre que la possibilité de mettre en réserve les quotas (banking) est un mécanisme de flexibilité efficace pour lisser le besoin de quotas dans le temps.
  • L’augmentation du prix du carbone a entraîné une hausse importante des revenus des enchères des quotas pour les Etats membres. Ces derniers ont été multipliés par 4 durant la phase 3, et sont utilisés à des fins climatiques à hauteur de 75 %. En 2020, les secteurs régulés par l’EU ETS ont bénéficié de 40 % de ces revenus, via des mesures de soutien direct à la décarbonation (ex : adoption de technologies de production bas-carbone), le reste étant principalement destiné à des mesures d’efficacité énergétique et au soutien à la transition des transports.
  • Enfin, la mise en œuvre de la réserve de stabilité du marché (market stablity reserve) a coïncidé avec une augmentation forte du prix du carbone, et a permis le maintien d’un niveau de prix élevé durant la crise Covid. Toutefois, des facteurs comportementaux tels que l’anticipation de la rareté future des quotas, ou les besoins de couverture du risque de la part des entreprises régulées semblent jouer un rôle au moins aussi important que la diminution réelle de l’offre.
  • Dans un contexte de tensions énergétiques et politique, la capacité de la réserve de stabilité sera mise au défi en phase 4.

 

Efficacité environnementale du marché éuropéen du carbone en 2021

  • L’année 2021 coïncide avec deux changements majeurs pour l’EU ETS : la révision de la directive pour la phase 4 (2021-2030) ainsi que la proposition législative « Fit for 55 » de la Commission européenne, ancrée dans l’objectif de neutralité carbone en 2050.
  • Sous réserve d’accord au niveau européen, l’objectif de réduction de l’EU ETS passera à -61 % d’émissions en 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Les émissions projetées sur la base d’une croissance du produit intérieur brut (PIB) comprise entre 0 et 2 % par an pourraient bientôt atteindre la trajectoire cible de phase 4.
  • Par ailleurs, en 2021, le rattrapage des émissions post-Covid a presque entièrement compensé la baisse observée durant la crise sanitaire. Les émissions sont ainsi revenues à leur niveau de 2019. Au total, les émissions ont augmenté de 9,1 % par rapport à 2020, principalement du fait de la production d’électricité.
  • Le secteur électrique poursuit sa décarbonation, grâce à la pénétration croissante des énergies renouvelables, désormais majoritaires dans le mix électrique hors hydroélectricité, ainsi qu’à la substitution du charbon par le gaz. Depuis 2013, la diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique est associée à un ralentissement de la baisse des émissions. Ce ralentissement a compensé les réductions d’émissions permises par la substitution du charbon par le gaz entre 2018 et 2020.

 

Efficacité socio-économique en 2021

  • En 2021, l’EU ETS a enregistré les prix du carbone les plus hauts depuis sa création, dépassant les 95€/tCO2 Ces derniers reflètent les réformes successives visant à diminuer l’offre de quotas, la progression vers une décarbonation plus profonde de l’industrie, l’annonce des réformes portées par le Green Deal européen ainsi que la situation énergétique particulière.
  • Toutefois, en 2021 et pour la première fois depuis décembre 2018, ce niveau de prix n’est plus suffisant pour conduire à substituer le combustible charbon par le gaz naturel dans la production d’électricité. Ceci est dû aux tensions sur l’approvisionnement en gaz naturel russe à l’approche de l’hiver.
  • L’enquête sur le sentiment du marché a montré que la confiance des acteurs à l’égard de l’EU ETS a légèrement diminué depuis 2020, notamment dans sa gouvernance. Toutefois, le potentiel du système ETS pour déclencher l’innovation dans des technologies bas-carbone est reconnu.
  • Tout comme le prix du quota carbone, les coûts directs de l’EU ETS ont fortement augmenté depuis 2020. Si ces derniers peuvent être atténués par l’allocation gratuite, limitant ainsi le risque de fuite de carbone, les coûts indirects répercutés sur les consommateurs par le biais des prix de l’électricité sont d’une ampleur bien plus grande.
  • Une estimation grossière des coûts indirects de l’EU ETS montre qu’ils ont monté en flèche dans les industries électro-intensives, augmentant le risque de fuite de carbone malgré les aides d’Etat octroyées. La gestion de ces coûts sera un défi de la phase 4 et soulèvera la question des impacts sociaux de la transition énergétique.

 

Fonctionnement du marché en 2021

  • En 2021, le volume total échangé a augmenté de 13 % par rapport à 2020, pour atteindre près de 11 milliards d’EUA. Ceci est dû au rebond des émissions post-Covid qui ont stimulé la demande de quotas, et par la croissance de la participation des investisseurs financiers.
  • Le nombre d’acteurs non régulés par l’EU ETS a augmenté de 67 % entre 2020 et 2021. Les mouvements des prix des quotas européens ont souvent été alignés sur les changements de positions des fonds d’investissement.
  • La volatilité du prix du carbone a également augmenté entre 2020 et 2021.
  • Malgré la hausse rapide du prix du carbone, le mécanisme de maîtrise des coûts n’a pas été déclenché en 2021, et il ne le sera pas non plus au premier semestre 2022. Cette situation a toutefois suscité un débat sur les comportements spéculatifs dans l’EU ETS et une enquête par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Ses conclusions, publiées en mars 2022, n’indiquent pas de fonctionnement anormal du marché européen du carbone, mais préconise une surveillance accrue du marché.
  • Les projections d’analystes s’accordent sur une tendance haussière du prix du carbone à horizon 2030, avec des prix pouvant dépasser 100€/tCO2e.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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