En parallèle d’une politique de réduction drastique des émissions de GES, chaque acteur doit se doter d’une stratégie de résilience et d’un plan d’adaptation au dérèglement climatique afin de pérenniser son activité.
2022 a été l’année de tous les records en termes de manifestations des effets du changement climatique entre inondations au Pakistan, sécheresses en France, hausse du nombre de vagues de chaleur, incendies et fontes des glaciers dans les Alpes… Si la prise de conscience se fait croissante, la trajectoire d’un réchauffement à +4 °C d’ici à 2100 ne peut plus être écartée [¹]. Les territoires français sont exposés aux conséquences concrètes du changement climatique, et le seront de plus en plus à un degré de fréquence et d’intensité plus important à chaque dixième de degré supplémentaire [²].
Fort de ce constat, le Gouvernement a présenté, le 8 juin dernier un plan national de gestion des vagues de chaleur [³] décliné en 27 actions et a ouvert une consultation sur la révision du Plan national d’Adaptation au changement climatique [4]. Dans le même temps, la Ville de Paris a publié les résultats de sa mission d’information Paris à 50 °C, laissant entrevoir les efforts indispensables à déployer pour s’adapter aux vagues de chaleur futures.
Nous le savons, les effets du réchauffement climatique vont peser davantage sur les personnes les plus vulnérables : familles à bas revenu, personnes âgées, malades ou en situation de handicap, et aussi les enfants [5]. Se cumulant et s’intensifiant, ces évènements climatiques entrainent une aggravation de la vulnérabilité de ces publics et contribuent à accroître les inégalités sociales [6].
Afin d’évaluer plus précisément les enjeux et ainsi contribuer aux débats, nos équipes Climate Data Analytics et Sustainable Cities and Territories ont analysé, grâce à notre Plateforme d’évaluation des risques climatiques (EcoAct Climate Risk Platform, ECLR), l’exposition au changement climatique d’établissements scolaires accueillant une population particulièrement vulnérable : les enfants de maternelle. Notre focus s’est porté sur les écoles, car s’il est admis que l’éducation a un rôle primordial à jouer dans la lutte contre les causes et les conséquences du changement climatique, la garantie même de pouvoir faire école « comme avant », sans disruption, n’est que très peu questionnée et les évènements récents ont souligné l’impréparation des pouvoirs publics sur la question [7].
Dans la première partie de notre étude, nous avons analysé l’exposition au changement climatique des écoles maternelles et évalué précisément le nombre d’écoles exposées par département et par région grâce à notre plateforme ECLR.
Dans la seconde partie (qui sera publiée fin août), nous présenterons les solutions d’adaptation au changement climatique selon l’exposition des écoles maternelles aux différents aléas étudiés.
Notre étude se concentre sur les principaux aléas auxquels est d’ores et déjà confronté le territoire français, à savoir : les vagues de chaleur, les feux de forêt et l’érosion côtière. Un zoom spécifique a été réalisé sur les territoires d’Outre-Mer, étant donné que ces territoires, très majoritairement insulaires, sont déjà soumis à des phénomènes climatiques extrêmes, comme les cyclones.
Avec un niveau de réchauffement global à 4 °C, les vagues de chaleur vont devenir à la fois plus fréquentes et plus intenses. En juin 2022, 12 départements ont été placés en vigilance « rouge canicule » par Météo France. Lors de la journée du 17 juin en particulier, le Ministère de l’Education a demandé aux parents, en mesure de le faire, de garder leurs enfants à domicile et de ne pas les envoyer à l’école, adaptant également leur programme d’activité [8].
D’ici à 2030, d’après les estimations hautes des modèles, 7 138 écoles maternelles seraient exposées à des vagues de chaleur supérieures à 35 °C. Ces écoles sont principalement situées dans les Départements des Bouches-du-Rhône (533, soit 98 % des écoles du territoire), de la Seine-Saint-Denis (405, soit 100 %), à Paris (323, soit 100 %), en Gironde (301, soit 99 %) et en Seine et Marne (290, soit 76 %) [voir figure n°1 ci-dessous].
Par rapport au nombre d’écoles sur le territoire, on observe que 43 départements auront plus de 75 % de leurs écoles exposées aux vagues de chaleur, parmi lesquels 11 départements auront 100 % de leurs écoles exposées [9]. Sur la carte ci-dessous, on peut observer les disparités entre territoires :
Figure N°1 : Source EcoAct
Les vagues de chaleur vont ainsi être plus intenses pour de nombreux départements, mais aussi plus fréquentes : par rapport à la situation de référence où on comptabilisait en moyenne 3,67 jours « chauds » par an [10], le nombre doublera d’ici à 2030 avec 6,9 jours. Si tous les territoires seront concernés, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Corse seront particulièrement affectées. L’analyse globale cache en effet de fortes disparités entre territoires :
Ainsi, si la première carte permet d’observer les départements davantage concernés par des pics de chaleur, la carte ci-dessous permet de visualiser les territoires qui connaitront un changement plus rapide que les autres en termes de fréquence d’occurrence des vagues de chaleur :
On observe que d’après les estimations (médiane des modèles), les départements du Sud-Est de la France, et la Corse, connaîtront une évolution du nombre de jours chauds moyens plus forte que les autres, induisant une nécessité de s’adapter plus rapidement pour garantir aux habitants un confort thermique dans un climat différent.
Comme nous l’avons vu en 2022, les épisodes de forte chaleur peuvent survenir aussi bien en plein milieu de l’été, ou à des périodes précoces (dès mai), ou tardives (jusqu’à octobre), ce qui impacte d’autant plus les modèles d’organisation scolaires et familiaux.
Les modifications de températures peuvent notamment impacter la santé des élèves et des enseignants (maux de tête, problèmes de concentration, fatigue…) et créer des inégalités dans les conditions d’apprentissage liées à la fermeture des établissements scolaires et à la capacité, ou non, des familles à garder à domicile les enfants [11].
Au-delà du risque de discontinuité de l’année scolaire, les fortes chaleurs risquent aussi de perturber les échéances des différents examens officiels (jusqu’ici programmés en début d’été). En France, la canicule de 2019 a par exemple contraint le gouvernement à repousser les épreuves du Brevet [12].
Par ailleurs, l’effet d’îlot-de-chaleur urbain, dont les caractéristiques varient d’un territoire et d’une ville à l’autre, est également un paramètre incontournable à prendre en compte, et à croiser avec les résultats d’exposition présentés plus haut.
En effet, couplé aux évolutions d’intensité et de fréquence des vagues de chaleur présentées, il fait partie des conditions additionnelles à même d’accroitre le niveau de vulnérabilité des établissements selon les territoires. Tout comme la vétusté et l’isolement des établissements scolaires, le nombre d’écoliers ou le manque de végétation environnante… autant de conditions pouvant in fine accentuer les inégalités d’accès à l’éducation en France.
L’augmentation des températures et des épisodes de sécheresse contribue à augmenter la fréquence et l’intensité des feux de forêt, comme l’illustre le bilan de l’an passé avec 19 711 incendies enregistrés et 72 000 hectares de forêts brulés en France, faisant de 2022 une année historique [13].
Notre plateforme confirme une augmentation généralisée de la fréquence des feux de forêts, en particulier dans les régions Corse, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Centre-Val-de-Loire et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, avec en moyenne 8 jours de plus de risques d’exposition à des feux de forêts. D’après nos modèles, ce sont plus de 10 % des établissements de maternelle qui pourraient être exposés à un risque fort voire extrême :
Là encore, le niveau de risque dans les écoles varie selon les départements en fonction de l’exposition des territoires mais aussi de la localisation géographique des établissements scolaires et les propriétés physiques des sites (température, humidité, vent).
Les départements sur la figure n°4 ci-dessous seront les plus exposés à un risque fort ou extrême :
Les risques liés à la survenance plus fréquente des incendies sont connus : destruction des habitats et de la biodiversité, pollution de l’air, émissions de CO2 et surtout dégradation, voire destruction, des infrastructures et équipements humains. Les établissements de maternelle pourraient être ainsi directement exposés à ces destructions, la santé des élèves davantage menacée et l’organisation des modes d’éducation altérées en cas d’arrêt d’activité et de relocalisation des habitants.
Le changement climatique, du fait de l’élévation du niveau de la mer et d’évènements météorologiques extrêmes, peut aggraver l’érosion côtière et menacer les bâtiments et équipements situés sur le littoral français. La démolition de l’immeuble « Le Signal » à Soulac-sur-Mer symbolise bien la menace qui pèse sur certains enjeux du fait de ce phénomène [14].
D’après les projections, 9 départements ont des écoles exposées à un risque fort d’érosion côtière (plus de 100 mètres de recul de la côte) : la Réunion, Mayotte, Bouches-du-Rhône, Charente-Maritime, Gironde, Guyane et pour une seule école Ille-et-Vilaine, Morbihan et Nord. D’autres Départements sont également exposés à un risque modéré : Var, Pas-de-Calais, Vendée, Loire-Atlantique…
Grâce aux coordonnées GPS des écoles maternelles et aux données satellitaires, nous avons pu identifier via la plateforme ECLR, la localisation des écoles les plus exposées, permettant ainsi de se concentrer sur les établissements les plus vulnérables pour définir des actions d’ampleur.
Les points de couleur claire représentent les écoles pour lesquelles il n’existe pas de risque d’érosion côtière d’ici à 2050. A l’inverse, les points de couleur sombre sont ceux représentant les écoles exposées à un risque modéré/fort (recul entre -50 et -100 mètres du trait de côte) ou extrême (recul de -100 mètres du trait de côte).
Le phénomène d’érosion côtière est à même de dégrader l’environnement proche d’écoles situées à proximité de la mer. Le recul du trait de côte accroît la vulnérabilité des bâtiments au risque d’inondation, notamment lors d’évènements météorologiques exceptionnels comme la tempête Xynthia qui a touché la commune de Soulac-sur-Mer en 2010. Les bâtiments situés proches de zones d’érosion voient ainsi le risque s’accroître à mesure que le trait de côte se rapproche. Les inondations peuvent provoquer des dégradations importantes, allant jusqu’à rendre les bâtiments inutilisables, et mettre en danger la santé des élèves.
Les territoires d’Outre-mer, tous insulaires à l’exception de la Guyane, sont les territoires français les plus exposés et les plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique [15]. Notre étude, qui comprend des écoles situées en Guyane, Guadeloupe, à Saint-Martin, La Réunion, Mayotte, et Saint-Pierre-et-Miquelon, fait ressortir cette forte exposition des territoires aux différents aléas étudiés :
De plus, ces territoires sont particulièrement exposés aux risques de cyclones :
Les chiffres liés à ce risque font état de l’exposition historique, c’est-à-dire le nombre de cyclones ayant frappé ce territoire par le passé. Or, nous savons d’après les résultats du GIEC que ce type d’évènements tendra à devenir plus fréquent dans les années à venir. En effet, comme le précisait Valérie Masson-Delmotte [16], Directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe nᵒ1 du GIEC, lors d’une interview à l’AFP en 201718, les effets du changement climatique peuvent en partie aggraver les phénomènes cycloniques, car plus la température de l’eau et le taux d’humidité sont élevés, plus un cyclone peut prendre de l’intensité. Or, ces deux éléments sont rendus plus intenses du fait de l’augmentation de l’effet de serre.
Si de tels évènements peuvent également subvenir en métropole (exemple de la tempête Alex en octobre 2023 qui a endommagé de nombreuses structures dans les Alpes-Maritimes), les territoires d’Outre-Mer demeurent particulièrement exposés aux aléas climatiques et aux risques de cyclones conduisant à la destruction d’infrastructures et à des menaces réelles sur la santé des habitants.
Notre étude souligne le caractère inévitable mais aussi protéiforme des impacts du dérèglement climatique au sein même d’un territoire comme la France. Chaque pan de notre société, écoles, hôpitaux, habitations, infrastructures, doit se préparer et enclencher des actions d’adaptation d’ampleur. Les structures accueillant ou gérant les publics les plus vulnérables, comme les écoles maternelles, nécessitent un point d’attention particulier. Si nous connaissons les effets globaux de ce qui nous attend, l’analyse de l’exposition à l’échelle de sites, en fonction des données géospatiales, est indispensable pour permettre un ciblage précis et des actions adaptées aux enjeux.
ANNEXE : Synthèse de l’exposition des écoles aux alés climatiques par département ⇒ https://info.eco-act.com/hubfs/Documents/Annexe%20adaptation%20%C3%A9coles%20al%C3%A9as%20climatiques.pdf
Découvrez la deuxième partie de notre étude qui propose des solutions d’adaptations.
[1] https://www.lejdd.fr/politique/christophe-bechu-nous-devons-preparer-notre-pays-une-evolution-des-temperatures-de-4-degres-135912
[2] IPCC, AR6 Synthesis Report Climate Change 2023
[3] https://www.ecologie.gouv.fr/vagues-chaleur-plan-national-anticiper
[4] https://www.vie-publique.fr/en-bref/289497-rechauffement-climatique-une-consultation-sur-un-scenario-4-degres
[5] https://www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(20)30274-6/fulltext
[6] https://www.globalpartnership.org/fr/blog/les-systemes-educatifs-face-au-defi-du-changement-climatique
[7] Dossier Le Monde « L’école, mauvais élève face à l’urgence climatique », 5 juillet 2023
[8] https://www.education.gouv.fr/recommandations-aux-directeurs-d-ecole-et-chefs-d-etablissement-pour-prevenir-les-effets-de-la-10454
[9] Tarn-et-Garonne, Guyane, Gers, Charente, Lot-et-Garonne, Vienne, Indre-et-Loire, Loiret, Val-de-Marne, Paris, Seine-Saint-Denis.
[10] Il s’agit ici d’une valeur par défaut : ces 3.67 jours correspondent aux 1 % de l’année où le territoire connaît des températures excédant le seuil de température (ce seuil varie selon le territoire).
[11] https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2020/12/InegalitesClimatiques_NAAT2020.pdf
[12] https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/26/des-epreuves-du-bac-ou-du-brevet-ont-elles-deja-ete-reportees-a-cause-de-la-meteo_1735877/
[13] https://www.interieur.gouv.fr/actualites/grands-dossiers/lutte-contre-feux-de-foret-proteger-populations-biens-et-lenvironnement
[14] http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/soulac-gironde-erosion-littorale
[15] https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/27/crise-climatique-dans-les-outre-mer-les-solutions-de-la-derniere-chance_6179434_3244.html
[16] https://www.geo.fr/environnement/climat-des-ouragans-plus-intenses-a-cause-du-rechauffement-178525