Urgence de la réduction : décryptage du dernier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC
Le 4 avril, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié le dernier volet de son sixième rapport d’évaluation. Sujet principal : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce rapport est la plus grande mise à jour des connaissances scientifiques sur ce sujet depuis 2014. Jordan Hairabedian, Consultant en ...
Le 4 avril, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié le dernier volet de son sixième rapport d’évaluation. Sujet principal : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce rapport est la plus grande mise à jour des connaissances scientifiques sur ce sujet depuis 2014. Jordan Hairabedian, Consultant en Décarbonation au Climate Innovation and Knowledge Center, chez EcoAct, propose son décryptage.
Un problème : aujourd’hui, nous sommes très loin d’une action climatique à la hauteur des enjeux
Le niveau actuel des émissions de GES (dioxyde de carbone, méthane…) est le plusélevé de l’histoire de l’humanité. Soyons clair, nous ne sommes pas du tout sur le chemin de l’Accord de Paris, visant à limiter le réchauffement climatique à + 1,5 °C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle (~1850). La tendance actuelle est à + 3,2 °C.
La croissance du PIB dans les principaux secteurs économiques (industrie, énergie, transports, agriculture et bâtiments) et l’augmentation de la population sont les principales causes de l’augmentation des émissions de CO2, loin d’être contrebalancée par les améliorations de l’intensité énergétique du PIB et de l’intensité en carbone de l’énergie. Cela est confirmé par le graphique de l’Agence internationale de l‘énergie ci-dessous. Les 10 % de ménages les plus riches contribuent à 40 % des émissions, tandis que les 50 % les plus pauvres contribuent à seulement 14 % des émissions.
Des solutions : il faut activer tous les leviers de réduction dans tous les secteurs, maintenant
Le pic d’émissions de GES doit se produire d’ici à 2025 pour limiter le réchauffement à + 1,5 °C et il faudra réduire de 40 % les émissions d’ici à 2030.
La population, l’énergie et les villes au cœur de la décarbonation
Population : éviter — améliorer — changer est le triptyque de l’action individuelle présenté par le GIEC. En effet, les mesures axées sur la demande peuvent réduire les émissions mondiales de GES de 40 à 70 % d’ici à 2050. La sobriété aura le plus d’impact par l’abandon de la voiture individuelle et la réduction des transports en avion. Les améliorations technologiques et de procédés contribueront fortement à la décarbonation via le déploiement des véhicules électriques, de l’électricité renouvelable, de la rénovation des bâtiments et des pompes à chaleur. Enfin, changer ses habitudes dans un monde bas-carbone passera surtout par une utilisation croissante des transports en commun et l’adoption d’un régime alimentaire orienté vers les végétaux.
Energie : la réduction drastique de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) est le cœur de la décarbonation. L’énergie solaire et l’énergie éolienne présentent le plus grand potentiel de réduction, à côté de la sobriété, de l’efficacité énergétique et des autres technologies (électrification bas-carbone, utilisation d’hydrogène et de biocarburants durables, capture du carbone…). Bonne nouvelle : les coûts des énergies renouvelables ont drastiquement baissé. De 2010 à 2019, il est observé une baisse soutenue des coûts unitaires de l’énergie solaire (85 %), de l’énergie éolienne (55 %) et des batteries au lithium-ion (85 %) pour le stockage de l’électricité. Aussi, les systèmes électriques alimentés principalement par des énergies renouvelables sont de plus en plus viables.
Villes : les centres urbains sont responsables de 70 % des émissions de CO2, lieux de vie de plus de 55 % de la population mondiale. Les principaux leviers d’action sont la réduction de la consommation d’énergie (sobriété, efficacité énergétique, bâtiments bas carbone), l’électrification (énergies renouvelables, déploiements de la mobilité électrique) et l’amélioration de l’absorption et du stockage du carbone dans l’environnement urbain (solutions fondées sur la nature, végétalisation, protection des écosystèmes forestiers, des prairies, des zones humides…).
Décarbonation sectorielle
Tous les secteurs doivent contribuer à la décarbonation. Cela étant, le potentiel de réduction des émissions de CO2 mondiales varie en fonction des activités :
Bâtiment : 27 %,
Industrie : 27 %,
Transport : 17 %,
Utilisation, changement d’affectation des terres, et foresterie (UTCATF) : 12 %.
Les principaux leviers de décarbonation à activer par secteur sont détaillés ci-dessous :
Bâtiment : la rénovation du parc immobilier existant doit s’accélérer plus que jamais comme la construction de bâtiments à haute performance énergétique. L’ensemble du cycle de vie doit être concerné. Lors de la phase de construction, des matériaux de construction à faibles émissions, une enveloppe de bâtiment hautement isolante et l’intégration d’énergies renouvelables sont nécessaires. Au niveau de l’exploitation, l’approvisionnement en sources d’énergie bas carbone est central, notamment pour le chauffage (pompes à chaleur par exemple). En fin de vie, le recyclage et la réutilisation des matériaux de construction permettent de s’engager vers une économie circulaire.
Industrie : en priorité, la décarbonation profonde de l’industrie nécessite de nouveaux processus de production utilisant de l’électricité, de l’hydrogène et des carburants bas-carbone (ammoniac et carburants synthétiques, carburants biosourcés). Réduire ces coûts est stratégique. De plus, la substitution de matériaux émissifs et l’efficacité énergétique sont les deux autres grandes lignes directrices de la décarbonation de l’industrie, en adoptant une approche par analyse de cycle de vie.
Transport : le transport routier représente la majeure partie des émissions liées au transport. Les véhicules électriques légers alimentés par de l’électricité à faibles émissions offrent le plus grand potentiel de décarbonisation pour la mobilité terrestre sur la base du cycle de vie. Les biocarburants durables, l’hydrogène à faibles émissions et les dérivés (y compris les carburants synthétiques) peuvent contribuer à l’atténuation des émissions de CO2 provenant du transport maritime, de l’aviation et du transport terrestre lourd, mais nécessitent des améliorations de processus de production et des réductions de coûts.
Utilisation, changement d’affectation des terres, et foresterie (UTCATF) : la décarbonation du secteur doit passer par une meilleure gestion des terres (protection des forêts, restauration des écosystèmes, afforestation, reforestation, séquestration carbone dans l’agriculture…). Aussi, l’évolution du régime des êtres humains aura un impact déterminant dans la lutte contre le dérèglement climatique notamment en privilégiant les aliments d’origine végétale et ceux d’origine animale produits dans des systèmes résilients, durables et à faibles émissions de gaz à effet de serre.
Transversal : les processus d’élimination du dioxyde de carbone (solutions fondées sur la nature, bioenergy carbon capture and storage —BECCS —, direct air carbon capture and storage — DACCS…) sont essentiels pour atteindre zéro émission nette. Néanmoins, leur degré de maturité, leurs coûts et leur capacité de stockage varient grandement.
Aller au-delà du climat : la décarbonation doit d’autant plus être soutenue financièrement qu’elle contribue aux objectifs de développement durable (ODD)
Réduire les émissions de gaz à effet de serre est plus urgent que jamais. Tous les secteurs économiques et les acteurs (offre comme demande) doivent prendre part à l’action climatique. Toutes formes de synergies doivent être soutenues. En effet, le GIEC conclut son rapport en précisant qu’une gouvernance efficace et équitable du climat repose sur l’engagement des entreprises, des acteurs de la société civile, des acteurs politiques, des jeunes, des travailleurs, des médias, des peuples autochtones et des communautés locales. Une action collective impliquant l’ensemble de la société est nécessaire. Aucun acteur n’est à même d’y arriver seul.
Des politiques incitatives et de soutien à la transition doivent se multiplier, en premier lieu au travers du levier du prix du carbone. En ce sens, le GIEC précise que les options d’atténuation dont le coût est inférieur ou égal à 100 $/téq CO2 pourraient réduire les émissions mondiales de GES d’au moins la moitié du niveau de 2019 d’ici à 2030. Les investissements doivent être multipliés entre 3 et 6 d’ici à 2030 pour s’aligner sur une trajectoire 1,5 °C/2 °C.
Nous avons tous tout à y gagner, car les actions de réduction d’émissions peuvent avoir de nombreux co-bénéfices : accès à une énergie bas carbone et bon marché, amélioration de la résilience agricole, meilleure sécurité alimentaire, meilleure adaptation au changement climatique, amélioration de la qualité de l’air, de l’eau et des sols… Ainsi, entreprises et territoires doivent plus que jamais engager leur transition bas carbone. La mission d’EcoAct est de les accompagner.