5 ans après l’accord de Paris, où en est l’action climatique internationale ?

En amont du cinquième anniversaire de l’accord de Paris pour le climat le 12 décembre prochain, nous faisons le point sur les avancées, sur ce qui reste à accomplir en vue de son opérationnalisation dès 2021, ainsi que sur l’évolution de l’action mondiale contre le réchauffement climatique. Il ne faut pas se leurrer : le premier ...

Magdalena Jouenne-Mazurek

9 déc 2020 12 minutes de lecture

En amont du cinquième anniversaire de l’accord de Paris pour le climat le 12 décembre prochain, nous faisons le point sur les avancées, sur ce qui reste à accomplir en vue de son opérationnalisation dès 2021, ainsi que sur l’évolution de l’action mondiale contre le réchauffement climatique.

Il ne faut pas se leurrer : le premier bilan, celui des émissions de gaz à effet de serre (GES) n’est pas positif. Malgré une brève baisse des émissions de dioxyde de carbone causée par la pandémie de COVID-19 en 2020, le rapport 2020 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions publié par les Nations unies ce 9 décembre, nous indique que le monde se dirige toujours vers une augmentation de la température de plus de 3 ° C ce siècle – bien au-delà des objectifs de l’accord de Paris. Entre 1990 et 2019, les émissions de GES mondiales ont augmenté de 56 % soit 1,2 % par an en moyenne, alors qu’une réduction de -7,6 % par an est nécessaire pour atteindre un scénario de 1,5 °C à l’horizon 2100 selon le rapport spécial du GIEC sur l’objectif de 1,5 °C (2018).

Cependant, ce seul indicateur du niveau des émissions de GES ne reflète sans doute pas l’action climatique engagée et en pleine accélération depuis 5 ans. En effet, bien que le processus des négociations climatiques internationales soit extrêmement lent, les retombées sur l’économie réelle (l’action des États, des villes, des entreprises et des financiers), quoique aussi lentes et de faible envergure par rapport à l’enjeu, ne peuvent pour autant pas être niées. La transition bas-carbone a bel et bien commencé à tous les niveaux. Les engagements s’accélèrent à toutes les échelles de décision et vont devoir être suivis d’effets. C’est l’effet domino de l’accord de Paris observé depuis 5 ans sur lequel nous revenons.

Avec un triple objectif climatique, économique et financier, l’accord de Paris a donné une impulsion sans précédent à l’action climatique mondiale.  

Fruit des négociations qui se sont tenues lors de la Conférence de Paris de 2015 (COP21) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’accord de Paris a été approuvé par l’ensemble des 195 délégations le 12 décembre 2015.

L’accord de Paris est le premier accord mondial à engager tous les Etats dans une action climatique commune basée, d’une part, sur une contribution nationale volontaire et, d’autre part, sur un système de transparence et de révision pour permettre aux pays de renforcer leur ambition climatique tous les 5 ans. Ses objectifs clés se résument à :

  1. Contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C » (article 2) ;
  2. Renforcer les capacités d’adaptation aux impacts des changements climatiques et promouvoir un développement bas-carbone et résilient de nos économies. Sa déclinaison pour le secteur privé consiste à évaluer les risques climatiques et à définir des stratégies de décarbonation et d’adaptation ;
  3. Rendre les flux financiers compatibles avec un développement bas-carbone et résilient aux dérèglements climatiques. Cet objectif se traduit pour le secteur privé en un alignement des portefeuilles d’investissement à l’objectif de limiter le réchauffement nettement en dessous des 2 °C, voire à 1,5 °C. Par exemple, la taxonomie verte européenne et la méthodologie SBT-FI y sont toutes deux alignées.

L’accord de Paris définit donc un cadre international ayant pour vocation, d’une part, de limiter le dérèglement climatique en accord avec le consensus scientifique et, d’autre part, de renforcer la capacité des pays à faire face à ses conséquences néfastes et de financer la transition bas-carbone. Pour parvenir à cet objectif, l’accord de Paris exige de plafonner dès que possible les émissions mondiales et de viser l’équilibre de zéro émission nette dans la deuxième partie du siècle (article 4).

Pour marquer la date d’anniversaire, l’ONU, la présidence britannique de la COP26, la France, le Chili et l’Italie organisent le Sommet virtuel sur l’ambition climatique. Cela sera l’occasion pour les pays les plus volontaristes de présenter d’ores et déjà leur nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN) plus ambitieuse. Dans cet élan, le Royaume-Uni a par exemple annoncé le 3 décembre dernier une ambition de réduction de ses émissions GES de 68 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 (Source : BBC), comparé à – 40 % pour la France (Source : Stratégie nationale bas carbone).

Sa logique volontariste commence à produire des engagements alignés sur l’objectif des 2 °C voire 1,5 °C.

L’accord de Paris est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Puis, quatre ans plus tard, les États-Unis sont sortis officiellement de l’accord. Toutefois, ce coup dur porté à la coopération internationale en faveur du climat a non seulement été contrebalancé par l’engagement de nombreux autres pays, mais sera aussi de courte durée, puisque le nouveau président américain élu, Joe Biden, a pris l’engagement en faveur d’un retour dans l’accord et de la neutralité carbone d’ici à 2050.

Depuis le retrait des États-Unis, d’autres États ont affiché leur leadership : la Chine, qui représente 30 % des émissions de GES mondiales contre 14 % pour les États-Unis, a ainsi fixé un objectif de zéro émission nette d’ici à 2060, ainsi que l’atteinte du pic en 2030. En parallèle à cette dernière, d’autres grands pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, dont notamment : le Japon, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud, et rejoignent ainsi notamment l’Union européenne et le Royaume-Uni. Avec les États-Unis, ce sont désormais 127 États représentant 63 % d’émissions de GES mondiales qui sont engagés vers la neutralité carbone (Climate Action Tracker, 2020), ce qui était inespéré il y a cinq ans !

Le modèle volontariste – de l’accord de Paris où les pays proposent leurs engagements pour contribuer à l’effort mondial de réduction semble finalement porter ses fruits. Aujourd’hui, sur le papier du moins, l’atteinte de l’objectif de l’accord de Paris est à la portée de la communauté internationale d’après l’organisation Climate Action Tracker. (CAT, décembre 2020).

Demeure l’enjeu de l’urgence de transformer les engagements politiques en actes car les émissions de GES continuent d’augmenter fortement et le monde reste sur une trajectoire nettement supérieure à l’objectif de l’accord. Comme le regrette en novembre dernier le secrétaire général de l’ONU, António Guterres : « Aujourd’hui nous nous dirigeons encore vers 3 degrés au moins ».

La neutralité carbone devient un moteur de transition et de transformation.

En introduisant le concept scientifique de neutralité mondiale dans l’arène politique, l’accord de Paris a changé la donne, créant un cadre conceptuel de mitigation du changement climatique, et a produit une nouvelle norme. La neutralité carbone s’inscrit à présent dans l’agenda politique de tous les grands pays et au niveau mondial. Ce nouveau mot d’ordre a fait évoluer la compréhension de la problématique par les décideurs : les réductions marginales doivent devenir une transformation profonde des modèles économiques.

La neutralité carbone s’impose aussi à toutes les strates de la société : villes, entreprises et investisseurs comme une vision de long-terme pour identifier les solutions les plus appropriées en faveur d’une transformation profonde, dont les Solutions fondées sur la Nature au bénéfice du carbone bleu ou de la biodiversité par exemple.

L’Effet domino de l’accord de Paris : les engagements et la transparence se déclinent à tous les échelons.

Dans le sillage de l’accord de Paris, la communauté scientifique, la société civile et les institutions appellent à mettre en œuvre des plans de décarbonation aussi urgents que crédibles. Le cap est mis vers un monde zéro émission nette, mais agir à tous les échelons est la seule issue d’une crise climatique. Les engagements de l’accord de Paris se déclinent au niveau des pays, mais aussi des territoires ou villes et des entreprises.

C’est dans ce cadre fixé par l’accord de Paris qu’une pléiade d’initiatives encourageantes a émergé telle que la coalition d’initiatives « Race to Zero » représentant 449 villes, 21 régions, 992 entreprises, 38 des plus grands investisseurs et 505 universités. Ensemble, ces acteurs couvrent désormais près de 25 % des émissions mondiales de CO2 et plus de 50 % du PIB. Aux côtés des acteurs publics et territoriaux, les organisations privées ne sont pas en reste comme en témoigne la croissance importante d’engagements à réduire les émissions de GES alignées sur l’accord de Paris certifiés par la Science Based Target initiative (SBTi) dont EcoAct est partenaire gold.

Les efforts des grandes entreprises sont aussi encourageants qu’insuffisants face à l’urgence et à l’ampleur de la crise climatique. C’est une des conclusions de l’étude annuelle d’EcoAct sur la performance en matière de reporting climat des entreprises des indices boursiers FTSE 100, CAC 40, IBEX 35 et DOW 30. En effet, la quasi-totalité des entreprises du CAC 40 (98 %) évalue les risques climatiques et la majorité (85 %) a établi des objectifs de réduction d’émissions. Toutefois, seule la moitié des entreprises du CAC a mis en place des objectifs alignés sur les recommandations de l’initiative SBTi, « fondées sur la science climatique ». De plus, moins de la moitié des entreprises du CAC 40 se sont engagées vers la neutralité carbone (43 %). Enfin, tout comme les Etats, les engagements pris par les entreprises sont encore à consolider et leur ambition à réviser à la hausse. 

Les institutions se saisissent également de ces enjeux vitaux et envoient un signal fort : les actes doivent être en phase avec les déclarations. En l’occurrence, le Conseil d’État a obligé la France en novembre dernier à démontrer, dans les trois mois, le respect de ses engagements en matière de réduction de ses émissions. Par ailleurs, en vertu de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 30 novembre, trente-trois États européens, dont la France, sont attaqués pour leur inaction climatique et tenus de justifier le respect de leurs obligations climatiques avant fin février 2021.

Bref, ce sont dorénavant les acteurs tant étatiques, publics que privés qui courent un risque réputationnel, voire juridique considérable sur des engagements non tenus. Un cercle vertueux, où les déclarations devront se traduire en réalité sous peine de sanction. Le compte à rebours vers zéro émission nette est lancé et la dynamique semble inexorable !  

La COP26 se met au défi de confirmer l’opérationnalisation de l’accord de Paris.

2020 devait être l’année clé de l’opérationnalisation de l’accord de Paris, puisque tous les Etats devaient faire connaître leurs nouveaux engagements. Mais, la pandémie a retardé le calendrier des négociations climatiques internationales avec le décalage de la COP26, initialement prévue ce mois de décembre, en 2021. 

Malgré ce report, la société civile reste mobilisée, à l’instar des 350 étudiants du monde entier qui, dans la continuité de la Grève pour le climat lancée par Greta Thunberg, ont organisé en novembre dernier une fausse COP26 virtuelle et inclusive pour démontrer que l’action climatique peut et doit être menée, car l’avenir n’attend pas.

De cette prochaine conférence internationale sur le climat, la communauté internationale attend des avancées sur deux objectifs majeurs. La COP26 devra aboutir à une hausse des ambitions des « plans climat » nationaux. Concrètement, tous les États doivent soumettre une révision à la hausse de leurs engagements et publier une stratégie de long terme. La COP26 devra également finaliser la négociation politique pour définir au travers de l’article 6 les mécanismes de coopération internationale.

Pour rappel, la COP25 a échoué sur le rehaussement des ambitions climatiques des pays et la finalisation des bases d’une coopération internationale entre les États et en association avec le secteur privé. Elle a constitué également un échec symbolique puisque très peu de dirigeants politiques d’importance s’y sont rendus.

Face aux lenteurs de cette négociation climatique internationale, le secteur privé et la société civile ont pris le leadership climatique.

L’accord de Paris a établi un pont entre les politiques climatiques actuelles et l’objectif mondial de zéro émission nette. Entre le report de la COP26, le souvenir de l’échec de la COP25 et la crise sanitaire et économique toujours d’actualité, l’essentiel est de donner la priorité aux solutions pérennes et à une relance véritablement verte qui profitera aux populations et à la planète. Ayant pris la mesure de l’effort et tiré des enseignements de la situation inédite, nous devons agir collectivement à tous les échelons sans jamais perdre de vue cet objectif vital.

Il aura fallu cinq ans pour que l’objectif politique mondial de la neutralité carbone établi par l’accord de Paris atteigne une masse critique au sein des diverses strates de la société avec un leadership pris par les entreprises, les investisseurs et la société civile. Les entreprises et les investisseurs bénéficient de plus en plus de cadres normatifs, de référentiels ou de méthodologies. Inexistante il y a 5 ans, la « boîte à outils » multi-échelles multi-secteurs de la décarbonation est en cours de structuration et s’accélère dans sa mise en œuvre pour aligner nos actions sur l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050.

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