COP25 : dépasser le blocage par l’action climat volontaire

La COP25 s’achève sur un sentiment de déception face à l’impossible consensus entre les pays pour finaliser les règles de fonctionnement de l’accord de Paris, censé être opérationnel dès 2020, en complétant le « Paris Rulebook ». La communauté internationale, les pays, les villes et les entreprises se retrouvent désormais face à l’urgence d’agir pour le climat ...

Emilie Alberola, Roman de Rafael

18 déc 2019 9 minutes de lecture

La COP25 s’achève sur un sentiment de déception face à l’impossible consensus entre les pays pour finaliser les règles de fonctionnement de l’accord de Paris, censé être opérationnel dès 2020, en complétant le « Paris Rulebook ». La communauté internationale, les pays, les villes et les entreprises se retrouvent désormais face à l’urgence d’agir pour le climat dans une gouvernance basée sur des partenariats entre acteurs volontaires.

Une gouvernance multilatérale pour le climat impossible à établir pour 2020

Cette 25ème conférence a échoué sur ses plusieurs enjeux majeurs de négociations, témoignant des profondes divergences de la part de quelques États qui rendent impossible toute décision par l’unanimité. Trois enjeux étaient particulièrement centraux.

Le premier enjeu était le rehaussement des ambitions climatiques des pays. La préparation de la hausse des ambitions des « plans climat » nationaux (Contributions déterminées au niveau national – CDN) en vue de la COP26 et du renouvellement « obligatoire » de ces CDN en 2020, a largement été mise de côté du fait de l’échec ambiant. Tous les États doivent soumettre une révision de leurs engagements pour la COP26 en 2020. Or dans l’état actuel des promesses climatiques, l’objectif de l’accord de Paris ne pourra plus être atteint d’ici une décennie.

Deuxième enjeu, cette conférence devait finaliser les bases d’une coopération internationale de lutte contre le changement climatique. Les États devaient ainsi pouvoir accélérer la réalisation de leur objectifs climatiques contenus dans les CDN par l’établissement des règles de nouveaux mécanismes internationaux de financement et de transferts de réductions d’émissions de GES (ITMOs pour Internationally Transferred Mitigation Outcomes).

Ainsi les trois instruments, contenus dans l’Article 6 de l’accord de Paris, devaient permettre cette coopération :

  • L’article 6.2 permettrait une coopération interétatique directe,
  • L’article 6.4 permettrait les financements directs de projets et serait ouvert aux acteurs privés non-étatiques,
  • L’article 6.8 doit permettre la réalisation de coopérations non marchandes (coopération technique, appui législatif, etc.).

Sur ces points, malgré des textes quasi complets samedi, les négociateurs ne sont parvenus à aucun accord, car bloqués par le Brésil et l’Australie. En effet, si ces textes étaient peu ambitieux, car par exemple ne mentionnant pas les droits de l’homme au grand damne des ONG, ils jetaient pourtant les bases essentielles des mécanismes de coopération avec la définition des éléments centraux tels que le double comptage, la réduction mondiale des GES (OMGE pour Overall Mitigation in Global Emissions), l’imposition d’une forme de taxe pour l’adaptation (Share of Proceeds), le fonctionnement technique du processus de MRV et la gouvernance.

Troisième enjeu principal de cette COP : le financement et notamment celui des pays les plus vulnérables (Loss & Damage). La COP devait statuer sur deux éléments : d’abord lors de la COP de Copenhague les États se sont engagés à financer le Green Climate Fund (GCF) à hauteur de plus de 100 milliards de dollars par an dès 2020. Comment réunir ces financements et comment les sécuriser sur le long terme ? La COP n’a abouti sur aucune décision tangible sur la question, ce qui ouvre la voie à une potentielle crise de confiance si la promesse de Copenhague n’est pas tenue dès 2020.

L’autre élément du financement était la volonté de la part des États vulnérables (Afrique, Asie du Sud-Est) de sécuriser des financements nouveaux et additionnels pour faire face aux dégâts causés par le changement climatique. Le résultat est qu’une seule mention d’un changement d’échelle des financements (donc pas de nouveaux financements) dans le cadre du GCF a été obtenue et ne concernera que les Parties de l’accord de Paris : habile résultat obtenu des États-Unis qui prévoient de quitter l’accord en novembre 2020. A moins que le camp Démocrate ne l’emporte la veille de la date butoir de sortie de l’accord de Paris ?

Quelques bonnes nouvelles tout de même 

 Ainsi cette COP 25 a tout de même débouché sur la mise en œuvre d’un Gender Action Plan à l’échelle mondiale qui s’attachera à diffuser et systématiquement intégrer les questions du genre au sein des politiques climatiques. Par ailleurs, cette « blue COP » a mis l’accent sur l’enjeu vital des océans pour l’équilibre écosystémique planétaire, débouchant sur une déclaration finale qui demande que l’océan et la biodiversité soient mieux pris en compte pour faciliter le dialogue sur l’océan et le changement climatique d’une part, et sur les terres et l’adaptation au changement climatique d’autre part. Cela est d’importance pour la COP26 et la COP15 Biodiversité.

Le sursaut des pays ambitieux pour soutenir le développement des marchés carbone : les principes de San José

Face à cette dynamique bloquée par les USA, l’Australie et le Brésil, en décalage total avec l’urgence climatique, un groupe de pays s’est mis d’accord sur un ensemble de principes, connus sous le nom de « principes de San José pour une ambition élevée et l’intégrité des marchés carbone internationaux », qui constituent la base sur laquelle un marché du carbone robuste devrait être construit. Ces principes étaient préparés par le Costa-Rica qui les a fait circuler en tentant à emporter le plus de soutien. Ces derniers sont venus d’une trentaine de pays majoritairement de l’UE et d’Amérique Latine. Les principes exposés, alignés sur le positionnement de la société civile, sont consultables, en cliquant sur ce lien.

Reste à voir comment ces principes ambitieux censés tirer vers le haut les négociations lors de la COP25 pourront permettre de trouver un futur consensus dans la prochaine COP26 avec les états réfractaires lors de la COP25 : l’agenda de travail technique et politique au cours de 2020 sera clé.

Mettre le cap vers un monde « Net-Zero Emission » : agir à tous les échelons

L’urgence a été répétée par la société civile (ONG et entreprises) pendant cette COP, il nous reste 10 ans au rythme actuel avant d’être certains de ne pas réussir à réaliser l’objectif de 1,5°C. Le seul scénario compatible est une réduction mondiale de -7,6% des GES mondiaux par an  entre 2020 et 2030 pour atteindre zéro émission nette d’ici 2050 (Emission Gap Report, UNEP 2019) : c’est-à-dire une situation où les émissions des GES anthropiques résiduelles sont contrebalancées par une séquestration dans les puits naturels et via les nouvelles technologies. Pourtant, le résultat est un blocage : en total décalage donc.

Heureusement, la politique climatique se mène sur tous les fronts et à divers niveaux de décisions : de l’individu aux États-Nations, en passant par les collectivités locales et les entreprises. Les évènements annexes de la COP, qui demeure un forum de la société civile essentiel pour porter les messages sur l’action climatique, l’ont encore prouvé.

Ainsi et pour conclure, la très attendue Greta Thunberg a déclaré lors de cette COP que « l’espoir ne viendra pas des gouvernements mais du peuple », on pourrait également dire que, en ce mois de décembre 2019, l’espoir ne vient clairement pas de la communauté internationale, mais plutôt des coopérations régionales.

Parmi les initiatives marquantes de cette COP25, 73 pays (les pays les plus pauvres de la planète et des membres de l’UE dont la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne), 398 villes (incluant de nombreuses villes des États-Unis comme New York, Miami, etc.), 14 régions (dont la Californie, l’Ecosse et la Catalogne), ainsi que 786 entreprises de la « Climate Ambition Alliance » se sont engagés à augmenter leurs ambitions climatiques et atteindre zéro émission nette de CO2 en 2050.

Parmi les temps forts évoquons la communication du Pacte Vert de l’Union européenne par sa nouvelle Présidente le 11 décembre et l’accord du Conseil européen de tous les Etats membres (excepté la Pologne, dont le mix électrique repose encore massivement sur le charbon) sur l’ambition de neutralité climatique en 2050, soutenu par un plan de financement de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans. L’un des éléments clés de ce Pacte Vert de l’UE, l’introduction éventuelle d’une taxe carbone aux frontières sur les produits importés, sera à l’ordre du jour du Sommet Climat de l’UE et la Chine en septembre 2020.  

Enfin, le marché volontaire et les marchés du carbone émergeants (Mexique, Colombie, Canada, Corée du Sud et CORSIA) resteront donc encore dans l’expectative en 2020. Ils justifient cependant pleinement leur positionnement légitime au sein du panorama puisqu’ils contribuent au changement d’échelle tant attendu que l’Article 6 ne fournit pas encore. La COP26 devra aussi prendre en compte cette réalité, afin d’articuler au mieux l’Article 6 avec tous les autres mécanismes de contribution carbone mondiaux.

En conclusion et dans ce contexte de blocage des négociations climatiques internationales, l’action climatique dans toutes ses dimensions – politiques, financières, technologiques, sociales, etc. – se construira dans les prochaines années dans une approche volontaire, à toutes les échelles, et sera basée sur le développement de partenariats, de coalitions et autres clubs d’acteurs volontaires pour s’engager vers l’objectif de zéro émission nette.

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