Marchés du carbone : une question d’ambition

En Europe, le marché du carbone affiche depuis avril 2019 un niveau de prix jamais atteint depuis 2008, entre 24 et 27 euros la tonne de CO2, contre 12 euros en avril 2018. Ce rebond reflète l’anticipation d’une contrainte renforcée d’ici à 2030, mais aussi l’impact encore incertain du Brexit. Malgré cette hausse, l’utilité de ces politiques ...

Emilie ALBEROLA

1 juil 2019 5 minutes de lecture

En Europe, le marché du carbone affiche depuis avril 2019 un niveau de prix jamais atteint depuis 2008, entre 24 et 27 euros la tonne de CO2, contre 12 euros en avril 2018. Ce rebond reflète l’anticipation d’une contrainte renforcée d’ici à 2030, mais aussi l’impact encore incertain du Brexit.

Malgré cette hausse, l’utilité de ces politiques de tarification du carbone, mises en place dans 57 pays d’après la Banque mondiale, est régulièrement remise en question dans le débat public. Certains prônent même leur abandon, comme le récent rapport de Green Finance Observatory. S’il est vrai que les résultats des marchés du carbone ne sont pas à la hauteur des enjeux, ils reflètent avant tout l’insuffisante ambition climatique des Etats.

Avec un prix de 5 à 7 euros la tonne de CO2 entre 2009 et 2018, ce marché européen, lancé en 2005 pour réguler 50 % des émissions européennes de CO2, n’a pas envoyé le signal-prix nécessaire pour améliorer la rentabilité de productions ou d’investissements bas-carbone. La raison de cette faible incitation : l’ambition climatique n’était pas suffisante.

En effet, les réductions d’émissions de CO2 générées à la fois par les politiques d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique et par les crédits carbone internationaux n’avaient pas été considérées en 2008 dans le calcul du plafond d’émissions de CO2. La crise économique de 2009 a ensuite mécaniquement réduit les émissions de CO2. Ainsi, jusqu’en 2018, ce prix de marché n’a cessé de diminuer, reflétant l’atteinte de l’objectif climatique : en 2020, les 12.000 installations de production d’électricité, de raffinage, de ciment, etc. concernées doivent avoir réduit leurs émissions de CO2 de 21 % par rapport à 2005. Or, d’après l’Agence européenne de l’Environnement, cet objectif est dépassé depuis 2014. Et l’annonce début avril 2019 de la baisse de leurs émissions de CO2 de 2018 de près de 4% confirme la tendance.

Neutralité carbone

Sans une ambition retrouvée, le marché européen du carbone ne peut pas délivrer un prix qui soit au niveau des enjeux de décarbonation des secteurs concernés. Pour ce faire, il ne doit plus être affaibli par d’autres politiques climat-énergie et doit être aligné à long terme sur l’ambition européenne de la neutralité carbone. 

A l’horizon 2030, l’objectif du marché du carbone est augmenté à -43 % par rapport à 2005. Il constitue un pas en avant important mais insuffisant pour refléter les efforts nécessaires pour une transition bas-carbone réussie d’ici à 2050. La mise en œuvre d’une réserve de stabilité de marché depuis janvier 2019 devrait aussi permettre de rééquilibrer ce marché. Pourtant, son ambition pourrait être encore limité avec des objectifs d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique révisés à la hausse, fixés respectivement à 32 % et 32,5% en 2030, sans que son objectif de -43% ne soit significativement ajusté.

Mais, même en fonctionnant parfaitement, la portée du prix CO2 de ce marché reste limitée. Dans le scénario le plus ambitieux, la tonne de CO2 pourrait atteindre 40 euros en 2030. Assez pour envoyer un signal prix au secteur électrique (faisant préférer le gaz au charbon) et à l’industrie (améliorant son efficacité énergétique), mais très insuffisant pour encourager tous les investissements bas-carbone. Une multitude d’autres mesures seront nécessaires pour soutenir la décarbonation en levant les freins à l’action climatique.

Action climatique volontaire

Malgré certaines limites, les politiques de tarification du carbone constituent des outils à ne pas négliger pour atteindre la neutralité carbone à plus long terme. Cet objectif appelle à une ambition climatique plus élevée mais aussi une coopération renforcée pour partager les efforts de réduction ou de séquestration d’émissions de CO2 de certains secteurs, territoires et pays en s’appuyant sur les atouts des autres. Plus coopérative sera l’action climatique et plus rapidement sera atteint l’objectif de la neutralité carbone, gagnant jusqu’à une décennie, comme nous l’indiquent les rapports sur la valeur de l’action climatique en France  et du GIEC d’octobre 2018.

Aussi, les mécanismes de tarification du carbone via la finance carbone et la finance climat, joueront un rôle certain pour concilier ambition climatique, incitation économique et approche coopérative. En dirigeant du financement vers des projets bas-carbone, ils peuvent faciliter l’action climatique volontaire du secteur public et privé. C’est tout l’objet des mécanismes de compensation carbone volontaire existants et du nouveau Label bas-carbone lancé fin avril par le Ministère de la Transition écologique et solidaire. 

Retrouvez cette tribune sur les marchés du carbone d’Emilie Alberola, Directrice d’EcoAct Europe du Sud, publiée dans le cercle Les Echos.

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