Transition vers zéro émission nette : compensation carbone, responsable de tous les maux ?

La contribution à la transition climatique à l’aide de la compensation carbone offre des leviers d’actions et des bénéfices considérables.

Directeur Solutions fondées sur la nature d’EcoAct

14 déc 2022 6 minutes de lecture

La contribution à la transition climatique à l’aide de la compensation carbone volontaire (CCV) cristallise autour d’elle d’importants débats sur sa pertinence, ses limites, voire le « droit à polluer » qu’elle encouragerait, ou encore tout simplement son utilité ! Il convient à la fois de revenir aux ordres de grandeur que représente la CCV, sur ce que l’on observe lorsque celle-ci est mise en place (dans les règles de l’art) par les entreprises et sur ses objectifs finaux et ses co-bénéfices.

La compensation carbone volontaire, le paratonnerre des démarches en faveur du climat

Que représente concrètement la contribution de la CCV à l’objectif mondial de zéro émission nette ? Depuis sa création et la mise en place des crédits carbone, ce sont 600[1] millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) qui ont été évitées ou séquestrées. En parallèle, nous en émettons annuellement… 50 gigatonnes !

Ces 600 millions de tonnes semblent certes peu, mais elles ont effectivement été évitées ou séquestrées, tandis que COP après COP, les représentants des États du monde entier semblent bien en peine de trouver des consensus pour mettre en place des contraintes, incitations ou systèmes d’entraides réellement efficaces.

Le mécanisme de compensation carbone a aussi le mérite d’offrir des leviers d’actions complémentaires actionnables immédiatement, quand les contraintes actuelles à l’encontre des entreprises pour réduire leur impact environnemental sont bien trop faibles ; à titre d’exemple, en France, seules les entreprises de plus de 500 salariés (250 dans les DOM) sont obligées de réaliser un bilan de GES[2].

Force est de constater que les démarches de CCV mises en avant par les entreprises — de manière parfois plus ou moins heureuse on en convient — font couler bien plus d’encre que l’absence d’action, et donc de réduction, de toutes celles qui n’en font pas.

Car oui, autre constat : la compensation carbone certifiée ne détourne pas les entreprises de la réduction. Au contraire, les entreprises y ayant recours ont une tendance à réduire davantage[3].

L’argument d’opposition réduction versus compensation, ou de droit à polluer, s’il a pu être justifié à ses débuts dans les années qui ont suivi le protocole de Kyoto, semble donc aujourd’hui un peu éculé.

Tant que la finance et le pouvoir politique ne seront pas moteurs, la compensation carbone volontaire continuera à porter la dynamique des projets de préservation et de restauration

Il existe des écarts immenses en matière d’ambition, de délais et de financement qu’il est nécessaire de combler pour lutter contre le dérèglement climatique. Non seulement les engagements des parties à l’accord de Paris mènent à un réchauffement de 2,4 °C à 2,6 °C, selon le PNUE[4] (loin de l’objectif de 1,5 °C), mais aussi leur financement même reste globalement incertain[5].

Il est donc impératif d’augmenter les flux financiers vers toujours plus d’investissements favorisant la réduction et la séquestration des émissions de GES, partout dans le monde. À ce propos, les référentiels sur les engagements vers zéro émission nette (SBTi, ISO, HLEG) exigent une réduction scientifiquement fondée, mais recommandent aussi aux entreprises de financer des projets de qualité et certifiés pour séquestrer et réduire à hauteur de leurs émissions résiduelles.

Il revient alors aux entreprises des pays dits « développés » de répondre de leurs impacts et de financer l’urgente réduction de cet écart.

Or, qu’y a-t-il derrière la CCV ? Un mécanisme de financement, mais aussi et surtout des projets. Admettons alors qu’il soit désigné comme « indésirable », pourquoi alors les entreprises ne financent-elles pas de projets de séquestration ou d’évitement d’émissions de GES sans avoir recours aux crédits carbone — le bénéfice environnemental et d’image étant identique ?

Tout simplement parce que très peu d’entreprises peuvent se permettre d’investir sur des temps aussi longs, des montants aussi importants, tout en étant en mesure de contrôler le bon déploiement dudit projet. Et si elles souhaitent financer des projets de séquestration, de réduction ou d’évitement d’émissions de GES, encore faut-il que les institutions financières suivent et acceptent de prendre le risque. Ce qu’elles ne font pour la plupart tout simplement pas, en raison de la complexité et des risques de ces projets. Le recours aux crédits carbone vise précisément à lever tous ces freins.

Les conséquences du dérèglement climatique ne nous attendront pas : construisons ensemble plutôt que stigmatiser

Étrier les entreprises engagées dans ces démarches de compensation carbone certifiée — sans réellement s’attarder ni sur leur stratégie de réduction ni sur les bénéfices réels générés par les projets, souvent en raison d’une méconnaissance des processus et méthodologies — est donc encore une fois contre-productif. C’est en challengeant plutôt qu’en « stigmatisant » les entreprises qui essayent de faire quelque chose que nous participons à une réponse constructive.

Car une chose est certaine, les conséquences du dérèglement climatique n’atteignent pas forcément ceux qui en sont les plus responsables, et la question du financement des pertes et dommages liés aux aléas climatiques s’impose chaque jour un peu plus.

Pour rééquilibrer et agir là où cela s’avère le plus pertinent, les investissements internationaux restent l’un des meilleurs moyens pour dynamiser l’innovation et les projets en lien avec la préservation environnementale (qu’ils s’incluent d’ailleurs ou pas dans une logique de CCV). Voilà pourquoi le développement des labels bas-carbone nationaux, s’il est important, ne doit en aucun cas masquer l’importance d’une approche globalisée.

Le marché de la CCV, même perfectible, a donc, malgré tout, le mérite de démocratiser la contribution à la coopération internationale via des projets de compensation carbone certifiés et de faire son possible pour combler des écarts persistants. Il est temps d’étudier objectivement les projets de CCV certifiés sous le prisme de l’additionnalité, des gains réels et de l’implication concrète des communautés locales.


[1] Chiffres cumulés des rapports annuels « State of Voluntary Carbon Market »

[2] https://www.ecologie.gouv.fr/actions-des-entreprises-et-des-collectivites-climat

[3]  Source EcoAct sur les données du CDP 2020, correspondant au reporting des émissions sur l’année 2019 (l’année 2020 étant une année particulière en raison des différents confinements). Analyse sur 2550 entreprises ayant déclaré leurs émissions en 2018 et 2019.

[4] « Emissions Gap Report », l’édition 2022 publiée le jeudi 27 octobre 2022 par le Programme des Nations unies pour l’environnement.

[5] https://unfccc.int/fr/news/les-plans-climatiques-restent-insuffisants-necessite-de-plus-d-ambition

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