Qu’ont en commun la crise sanitaire actuelle et la crise climatique ?

Décryptage et leçons à tirer. La crise du coronavirus a entraîné une chute de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale[1]. Les conséquences croisées entre crise sanitaire et crise environnementale nous montrent que des crises d’origines différentes peuvent s’influencer mutuellement, à l’instar des activités humaines telles ...

Arnaud Ripoll

17 Juin 2020 10 minutes de lecture

Décryptage et leçons à tirer.

La crise du coronavirus a entraîné une chute de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale[1]. Les conséquences croisées entre crise sanitaire et crise environnementale nous montrent que des crises d’origines différentes peuvent s’influencer mutuellement, à l’instar des activités humaines telles que le défrichement et la fragmentation des habitats pouvant amplifier les maladies infectieuses émergentes, qui ont, à leur tour, un impact sur le changement climatique.

Lutter à la fois contre la crise sanitaire, économique et climatique

Le Haut Conseil pour le climat (HCC) a publié un rapport en avril 2020 qui traite notamment des réponses à apporter lors de la sortie de crise pour lutter à la fois contre la crise sanitaire, la crise économique subséquente et le changement climatique : « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir – Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques »[2]. Nous nous intéressons à l’analyse qui y est faite des éléments communs entre crises sanitaires et crises environnementales. Que partagent ces deux types de crises ? Que nous apprennent-elles sur notre société, nos méthodes de gestion des crises, nos capacités d’adaptation ou encore notre résilience ?

1. Les crises environnementales, comme les crises sanitaires, nécessitent des systèmes d’alerte précoces

Notre capacité à répondre à une crise est directement fonction de notre capacité à l’identifier rapidement, à la prévoir avant qu’elle ne survienne. Nous avons donc besoin de systèmes d’alerte qui reposent sur les meilleures bases scientifiques disponibles, et qui soient mis à jour régulièrement.

La bonne nouvelle est que nous disposons déjà de systèmes d’alerte à l’échelle internationale sur de nombreuses problématiques environnementales et sanitaires. Concernant la crise climatique, le GIEC a été fondé en 1988 ; pour ce qui est de l’effondrement de la biodiversité, nous avons l’IPBES (la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) depuis 2012 ; enfin, la crise sanitaire causée par le virus SRAS-CoV-2 a été identifiée et signalée par l’OMS.

Ces systèmes d’alerte permettent de faire le lien indispensable entre science et politique. La science ne prenant pas de décision — cette compétence étant réservée à la politique — il est nécessaire d’avoir des dispositifs faisant le pont entre ces deux institutions, des dispositifs scientifiques alertant le politique et lui faisant des recommandations afin qu’il fonde ses décisions sur les faits plutôt que sur les opinions. Ces systèmes d’alerte sont déjà fonctionnels et utilisés. Néanmoins, afin de mieux répondre aux crises, il conviendrait de progresser dans la capacité des systèmes politiques à prendre en compte les signaux non seulement forts, mais aussi faibles, dans les délais qui s’imposent.

Car concernant la pandémie actuelle, malgré de nombreux avertissements sur la dangerosité du coronavirus, une réponse rapide et conséquente aux échelles nationales et internationales a fait défaut. La problématique est similaire concernant le changement climatique. Toutefois, s’agissant de ce dernier, les signaux faibles sont devenus minoritaires par rapport aux signaux forts. 40 ans ont passé depuis la reconnaissance au niveau international du changement climatique (lors de la première conférence mondiale sur le climat en 1979)[3] et les actions entreprises ont, jusqu’à aujourd’hui, été largement insuffisantes pour y répondre. Il y a urgence à en tirer des leçons et à accélérer l’action.

2. Les crises impliquent d’agir en milieu incertain

Les dispositifs d’alerte précédemment cités permettent de mettre à jour régulièrement l’état des connaissances scientifiques sur leurs thématiques respectives. Cependant, nous ne pouvons pas attendre un niveau de connaissance intégral avant d’agir et nous devons donc composer avec un certain degré d’incertitude. Les incertitudes ne doivent pas être prétextes à l’inaction.

La communauté scientifique évalue et partage les dernières avancées dans chaque domaine. Ainsi, le niveau de fiabilité des connaissances scientifiques est évalué par exemple par le GIEC et l’IPBES. Leur évaluation de la fiabilité des savoirs doit guider nos actions au travers de la mise en place de dispositifs de prévention, d’anticipation et de préparation aux crises potentielles, intégrant des moyens d’agir proportionnés aux niveaux de confiance des risques.

Les conséquences du changement climatique sont trop importantes pour ne pas les considérer ni les prévenir. Il ne s’agit pas pour autant de se fonder sur une information partielle et incomplète. De très nombreuses connaissances présentées dans les rapports du GIEC et de l’IPBES ont atteint un niveau de confiance élevé, tandis que d’autres connaissances au niveau de confiance moyen peuvent déjà largement donner matière à réflexion quant aux actions d’atténuation et d’adaptation à mettre en œuvre.

3. La résilience passe par la mise en place d’actions offrant des co-bénéfices climat / santé

Nous redécouvrons au travers de la pandémie actuelle que crise sanitaire et crise climatique peuvent se conjuguer. Des évènements climatiques extrêmes, comme une canicule ou une inondation, peuvent arriver de concert à un épisode pandémique. Plus que des cygnes noirs[4]— des évènements de gravité élevée mais de probabilité très faible —, nous devons aujourd’hui identifier les risques cumulés de plusieurs « cygnes gris » — des évènements d’intensité plus faible mais de probabilité plus élevée. Les stratégies de gestion de crise doivent pouvoir faire face au cumul de plusieurs risques.

De même que nous devons intégrer des risques issus de plusieurs problématiques en parallèle, nous devons engager des actions sur plusieurs problématiques en même temps. Autrement dit, les actions engagées sur une problématique doivent avoir des co-bénéfices sur d’autres problématiques.

Compte tenu du budget et du temps limités dont nous disposons, nous devons privilégier la polyvalence des actions engagées, dans la mesure des actions disponibles. Les actions d’atténuation et d’adaptation mises en œuvre doivent contribuer à renforcer notre capacité de résilience globale. Pour ne prendre qu’un exemple, la réduction de l’utilisation d’essence diminue à la fois les émissions de gaz à effet de serre — agissant ainsi sur le changement climatique — et les émissions de polluants atmosphériques — agissant sur les impacts sanitaires de ces polluants.

Cette réflexion sur les co-bénéfices doit être intégrée aux processus décisionnels agissant sur les politiques publiques, tout comme doit l’être l’intégration des impératifs de l’action climatique dans l’ensemble des politiques publiques. Il s’agit de réfléchir aux conséquences des actions prévues avant de les engager. Pour que cela se fasse dans un délai raisonnable, un cadre d’évaluation préalable doit être élaboré et intégré aux processus de décision, en amont de la chaîne. C’est dans ce cadre d’évaluation que les enjeux climatiques, écologiques et sanitaires peuvent être intégrés.

4. Les inégalités aggravent les conséquences des crises sanitaires et environnementales

Les inégalités sont un facteur notable de moindre résilience face à des chocs externes. « La vulnérabilité au changement climatique et à ses impacts se nourrit des inégalités sociales et territoriales[5] ». Les inégalités sont en effet vectrices de tension et réduisent l’acceptabilité et la faisabilité des mesures d’atténuation des risques et d’adaptation aux potentiels impacts.

Or, les chocs climatiques n’allant que crescendo[6], il apparaît fondamental de définir une transition juste socialement, intégrant des filets de sécurité aux plus démunis. Cela passe avant tout par le renforcement des dispositifs de protection sociale et de solidarité.

Les inégalités, facteurs de vulnérabilité aux crises, sont protéiformes. Elles peuvent être de revenus, de conditions de vie, d’approvisionnement, de localisation géographique, d’âge ou encore de genre. Il a par exemple été démontré que les femmes étaient largement plus exposées aux conséquences du changement climatique. « Dans de nombreuses économies rurales et systèmes de subsistance dépendants des ressources produites, il est bien établi que les femmes ont un accès plus limité que les hommes aux ressources financières, à la terre, à l’éducation, à la santé et à d’autres droits fondamentaux[7]. »

Améliorer la résilience du système à des risques eux aussi protéiformes implique d’agir sur toutes ces inégalités en parallèle. De la même manière qu’il est pertinent de mettre en œuvre des actions climatiques ayant des co-bénéfices sanitaires, il faut également rechercher des actions ayant pour co-bénéfices une diminution des inégalités. C’est une question de justice sociale, d’optimisation des ressources et de durabilité des actions entreprises.

5. Une réaction efficace face aux crises implique de mettre en place une diplomatie préventive des crises

La bonne gestion des crises mondiales nécessite de disposer d’une cohésion internationale forte. Les risques climatiques majeurs, propres à s’accentuer, vont constituer à ce titre un véritable test de la résilience des dispositifs multilatéraux en place. Les négociations à l’échelle européenne pour mettre en œuvre une transition écologique de lutte et d’adaptation contre ces risques sont lentes et complexes. Il apparaît néanmoins essentiel de constituer des dispositifs préventifs multilatéraux des crises, renforçant les capacités d’absorption des chocs des différents États pris indépendamment via une interconnexion des ressources et intelligences de chacun.

Ces dispositifs doivent être préparés avant l’arrivée des crises car la réaction dans l’urgence n’est jamais une solution optimale et amenuise de manière incrémentale la résilience globale du système. Notre capacité de résilience dépend en premier lieu de notre capacité de prévention. « Il vaut mieux prévenir que guérir », dit le dicton.

Pour découvrir plus de décryptages d’Arnaud Ripoll, vous pourrez consulter avec intérêt le blog Medio.


[1] IEA (2020). Global Energy Review 2020. Disponible en ligne.

[2] Haut Conseil pour le climat (2020). Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir. Disponible en ligne.

[3] UNEP (2000). Climate Change Information Sheet 17. Disponible en ligne.

[4] Nassim Nicholas Taleb (2011). Le cygne noir, la puissance de l’imprévisible.

[5] Haut Conseil pour le climat (2020). Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir. Disponible en ligne.

[6] Jouzel et al. (2014). Le climat de la France au XXIe siècle. Volume 4. Disponible en ligne.

[7] IPCC (2014). AR5 Climate Change 2014 : Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A: Global and Sectoral Aspects. 105–107. Disponible en ligne.

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