Protéger les écosystèmes de l’île de Bornéo et les espèces menacées de disparition qu’elle abrite

Située en Asie du Sud-Est, l’île de Bornéo est la 4ème plus grande île du monde et abrite à elle seule 6 % de la biodiversité mondiale. L’île est composée de nombreux écosystèmes tels que des forêts tropicales, des mangroves ou encore des tourbières (zones humides composées principalement de mousse et d’arbustes). Fortement menacés de disparition, ...

Sara Campanales

3 Mar 2023 11 minutes de lecture

Située en Asie du Sud-Est, l’île de Bornéo est la 4ème plus grande île du monde et abrite à elle seule 6 % de la biodiversité mondiale. L’île est composée de nombreux écosystèmes tels que des forêts tropicales, des mangroves ou encore des tourbières (zones humides composées principalement de mousse et d’arbustes). Fortement menacés de disparition, les écosystèmes des tourbières jouent pourtant un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique, car ils absorbent et stockent de grandes quantités de carbone, servent de refuge à une faune rare et contribuent aux moyens de subsistance des populations locales.

À l’occasion de la Journée mondiale de la vie sauvage, nous souhaitions vous partager un exemple de projet soutenu par EcoAct, qui a permis de mobiliser des fonds carbone et des solutions fondées sur la nature pour préserver, restaurer et gérer durablement une forêt de tourbières dans la partie indonésienne de l’île de Bornéo où se trouvent notamment des espèces menacées d’extinction.

Le projet Katingan Mentaya constitue un puissant puits de carbone et un refuge pour la faune locale

Le projet Katingan Mentaya, qu’EcoAct a récemment audité sur le terrain, vise à protéger et à restaurer 149 800 hectares de tourbières. Cette zone constitue l’une des dernières et plus grandes forêts de son genre, menacée par le changement climatique et la conversion des terres.

Les tourbières ne couvrent que 3 % de la surface terrestre[1], mais elles stockent jusqu’à un tiers du carbone du sol dans le monde[2] et constituent de réels viviers de biodiversité. Les tourbières de Katingan abritent de nombreuses espèces endémiques de l’île, en particulier des primates gravement menacés comme l’orang-outan de Bornéo (Pongo pygmaeus), le singe de Proboscis (Nasalis larvatus) et le gibbon à barbe blanche de Bornéo (Hylobates albibarbis), tous sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Selon les premières estimations, plus de 4 139 orangs-outans de Bornéo, 9 789 gibbons et plus de 540 singes de Proboscis errent dans la région. Ces espèces contribuent de manière unique au bon fonctionnement de l’écosystème, notamment en consommant et en dispersant les graines des fruits lorsqu’elles se déplacent dans leur habitat, favorisant ainsi la régénération naturelle des forêts. La protection de la tourbière, et donc de ces espèces, est bénéfique à la fois pour la nature et pour les 43 000 membres de la communauté locale qui dépendent des services écosystémiques qu’elle fournit.

Protéger les écosystèmes de l'île de Bornéo et les espèces menacées de disparition qu'elle abrite
La biodiversité du projet Katingan Mentaya compte de nombreuses espèces en danger.

Protéger les écosystèmes de l'île de Bornéo et les espèces menacées de disparition qu'elle abrite
Le projet abrite diverses espèces de primates, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de la forêt comme la dispersion des graines. À Bornéo, les populations de primates disparaissent à un rythme alarmant, ce qui a des effets dévastateurs sur la survie à long terme d’écosystèmes tels que les tourbières.

Un monitoring précis de la biodiversité grâce au financement de technologies numériques révolutionnaires

Dans le cadre des efforts de conservation, le projet de tourbière de Katingan Mentaya utilise des technologies de monitoring pour identifier les espèces présentes dans la zone, examiner leur état de santé et pouvoir ainsi concevoir et mettre en œuvre des actions de conservation appropriées. La zone du projet étant très vaste, la surveillance de ce territoire peut s’avérer difficile. En plus des patrouilles régulières sur le terrain, les financements générés par les mécanismes du marché du carbone ont permis de déployer des technologies numériques avancées, telles que les caméras séquentielles. Les caméras séquentielles se déclenchent automatiquement en cas de mouvement et capturent des images des animaux qui passent. Elles permettent de cibler des espèces insaisissables dans les zones éloignées et difficiles d’accès et ont permis aux personnes travaillant sur le projet de transformer leur façon d’étudier la faune locale.

Le déploiement de 200 caméras dans toute la zone du projet a permis de confirmer la présence de l’orang-outan de Bornéo (Pongo pygmaeus) et du pangolin de Sunda (Manis javanica), deux espèces en déclin et gravement menacées qui sont sur la liste rouge de l’UICN, ainsi que d’espèces vulnérables telles que le léopard des nuages (Neofelis diardi). Parmi les autres découvertes surprenantes, la loutre à nez poilu (Lutra sumatrana), une espèce rare endémique de l’Asie du Sud-Est que l’on croyait éteinte en 1998, a été aperçue.

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Capture d’images d’une loutre à nez poilu (Lutra sumatrana). © Permian Global et PT. Rimba Makmur Utama.

Meynert Nusalawo, plus connu sous le nom d’Opo, est responsable de la protection de la zone et de sa biodiversité. Il est très impliqué dans la surveillance de la biodiversité et la protection de son habitat et fait de la prévention contre les incendies : « Dans la mesure du possible, nous laissons la forêt faire ce qu’elle fait le mieux : croître, stocker le carbone et subvenir aux besoins de toutes les espèces qui y vivent. La nature fait cela depuis des millions d’années, nous devons simplement nous assurer qu’elle dispose de l’espace nécessaire pour prospérer. » Il explique que « en tant que défenseurs de l’environnement, nous devons cependant intervenir à certaines occasions. Dans des cas extrêmes, il s’agit de répondre à des alertes au feu ou d’empêcher l’exploitation illégale des forêts. La partie la plus gratifiante est le travail de surveillance que nous effectuons pour suivre la faune et la flore de la forêt. »

Préservation des dernières populations d’orangs-outans

Les orangs-outans étaient autrefois répandus dans toute l’Asie du Sud-Est, mais la fragmentation et la perte d’habitat causées par l’homme les ont poussés au bord de l’extinction. Aujourd’hui, les trois espèces d’orangs-outans (l’orang-outan de Bornéo, l’orang-outan de Sumatra et l’orang-outan Tapanuli, récemment découvert) sont classées comme étant en danger critique d’extinction et figurent sur la liste rouge de l’UICN.

Le projet Katingan Mentaya abrite 5 à 10 % des populations restantes de l’espèce de Bornéo, actuellement estimées à environ 70 000 à 100 000 individus. Entre 1950 et 2010, la population a connu une forte baisse de 60 %, largement attribuée à la disparition des tourbières[3], ce qui justifie la valeur fondamentale du projet, qui consiste non seulement à protéger leur précieux habitat, mais aussi à monitorer l’état de ces populations restantes et à agir en cas de menace pour leur survie.

Le programme de surveillance du projet combine des enquêtes sur le terrain et le pistage par caméra, deux approches efficaces et non invasives pour étudier les animaux arboricoles comme les orangs-outans, qui passent la plupart de leur temps dans les arbres. Nos partenaires locaux qui sont sur le terrain effectuent régulièrement des comptages de nids d’orangs-outans et placent des caméras séquentielles dans toute la zone du projet, fournissant des données précieuses pour estimer la densité et la distribution de la population. Jusqu’à présent, les recherches ont montré que les orangs-outans étaient nombreux mais inégalement répartis dans les zones étudiées. Bien qu’il n’y ait toujours pas d’explication à ce phénomène, les résultats ont permis de concevoir une autre série d’échantillonnages aléatoires afin d’améliorer la précision des estimations de la population. Sur le long terme, le projet vise à identifier et étudier les facteurs, tels que les conditions de vie, qui influencent la répartition afin de préserver et stimuler les populations d’orangs-outans dans les zones à faible densité et de maintenir des effectifs sains dans les zones les plus peuplées.

Capture d’images d’une mère orang-outan de Bornéo et de son petit. © Permian Global et PT. Rimba Makmur Utama.

Les communautés locales : gardiens de la faune et de la flore de Katingan Mentaya

Le succès du projet est principalement lié à l’engagement des communautés environnantes qui dépendent de la forêt. Dès son lancement, le projet a adopté une approche communautaire de la conservation en reconnaissant les droits des communautés sur les ressources naturelles, en encourageant leur participation à la prise de décision et en leur fournissant les outils et les capacités nécessaires pour favoriser des moyens de subsistance durables.

La forte implication des communautés a conduit à la réussite du projet en permettant notamment de mettre fin à la pratique de la culture sur brûlis. Cette pratique agricole courante dans la région consiste à déclencher délibérément des feux pour défricher des terres à cultiver. Les tourbières sont très sensibles à cette technique, car leur sol est principalement composé de matières organiques hautement inflammables. Même après qu’un feu soit censé être éteint, il peut continuer à couver et à se propager sous terre, réapparaissant à tout moment. Ce phénomène, appelé « incendies zombies », est de plus en plus fréquent en raison de la hausse des températures et de la sécheresse, toutes deux liées au changement climatique.

La dégradation des tourbières a non seulement des effets climatiques catastrophiques en libérant le carbone stocké dans l’atmosphère, mais elle entraîne également la fragmentation et la perte de l’habitat d’espèces hautement menacées telles que l’orang-outan. En 2015, la crise des incendies de tourbières provoquée par l’homme en Indonésie a émis environ 16 millions de tonnes de CO2 par jour[4].

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Le projet comporte des mesures éducatives pour la prévention des incendies et la sécurité dans les écoles. © Permian Global et PT. Rimba Makmur Utama.

Afin de mieux contrôler les incendies et, in fine, de mettre un terme à cette pratique destructrice, le projet a mis en place un groupe de patrouilleurs du feu pour sensibiliser la population et faire des repérages dans la région afin de détecter et d’éteindre les feux de forêt avant qu’ils ne deviennent incontrôlables. La détection précoce est essentielle pour éviter que les feux ne pénètrent profondément dans le sol et provoquent des incendies zombies par la suite.

Bien que la communauté locale ait été réticente au changement au début, elle est aujourd’hui la première à informer des feux de forêt. Murniah, une habitante de l’île, a rejoint la patrouille des feux de forêt en 2019 car « sa conscience l’appelait à l’action ». Elle-même victime des feux de forêt, elle explique que « lors des incendies de 2015, de nombreuses terres villageoises ont été brûlées, y compris les miennes. Il m’a semblé juste que notre village ait sa propre patrouille de lutte contre les feux de forêt pour éviter qu’une nouvelle tragédie ne se produise. »

Murniah fait partie des nombreuses personnes qui jouent un rôle fondamental en tant que patrouilleurs du feu et qui ont contribué avec succès à rendre les feux de forêt beaucoup moins fréquents aujourd’hui.

Protéger les écosystèmes de l'île de Bornéo et les espèces menacées de disparition qu'elle abrite
Une équipe de la patrouille forestière de lutte contre les incendies travaillant activement à la réhumidification de la tourbière afin d’éviter l’apparition d’incendies. © Permian Global et PT. Rimba Makmur Utama.

Pour accroître le financement de projets comme celui de Katingan Mentaya, qui profitent à la fois à la nature et à la population locale, il faut davantage d’investissements provenant de toutes parts – publics, privés, nationaux et internationaux. Pour ne pas dépasser l’objectif de 1,5 °C et en parallèle de notre transition bas-carbone, nous devons limiter la perte de biodiversité et de services écosystémiques et régénérer nos écosystèmes.


Références

[1] Joosten, H. (2009). The Global Peatland CO2 Picture. Peatland status and drainage associated emissions in all countries of the world.

[2] Scharlemann, J. P., Tanner, E. V., Hiederer, R. and Kapos, V. (2014). Global soil carbon: understanding and managing the largest terrestrial carbon pool. Carbon Management 5(1), 81–91

[3] IUCN Red List of Threatened Species

[4] IUCN Issues Brief (November 2017)